D) Les Pères nous ouvrent, par leur diversité, à la catholicité de l’Eglise
Une catholicité faite d’unité et de diversité, d’unité profonde au sein d’une réelle diversité. Il y a vraiment une diversité au niveau des mentalités et des cultures, d’où la pluralité des expressions de la foi au niveau des théologies, des liturgies, des spiritualités, des disciplines. Les Pères d’Occident ne sont pas les Pères d’Orient. Et l’Orient lui-même est diversifié: Antioche n’est pas Alexandrie et n’est pas Byzance. Et l’Occident lui-même est également diversifié. La Gaule et l’Espagne ne sont pas l’Italie ou l’Afrique. Il y a un très beau texte d’Irénée de Lyon, au livre I de l’Adversus Haereses, contre les hérésies, dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, où il considère l’Eglise et la diversité des peuples qui en font partie. Il parle de la Germanie des Celtes (c’est nous), des Ibères; il envisage l’Orient, l’Egypte, la Libye et puis le milieu du monde, c’est-à-dire l’Italie et la Grèce. Et Irénée de s’émerveiller parce que c’est bien une même foi qui unit ces peuples si divers:
Car si les langues diffèrent à travers le monde, le contenu de la Tradition est un et identique. Et ni les Eglises établies en Germanie n’ont d’autre foi ou d’autre tradition, ni celles qui sont chez les Ibères, ni celles qui sont chez les Celtes, ni celles de l’Orient, de l’Egypte, de la Libye, ni celles qui sont établies au centre du monde; mais, de même que le soleil, cette créature de Dieu, est un et identique dans le monde entier, de même cette lumière qu’est la prédication de la vérité brille et illumine tous les hommes qui veulent parvenir à la connaissance de la vérité. Et ni le plus puissant en discours parmi les chefs des Eglises ne dira autre chose que cela – car personne n’est au-dessus du maître –, ni celui qui est faible en paroles n’amoindrira cette tradition: car, la foi étant une et identique, ni celui qui peut en disserter abondamment n’a plus, ni celui qui n’en parle que peu n’a moins4.
Il faut être sensible à la fois à la diversité des Pères et à l’unité profonde. Le contact avec les Pères d’Orient et d’Occident apprend à ne pas identifier la foi avec un certain langage qui reste toujours partiel et limité. On le voit en Orient au Ve siècle; entre Antioche et Alexandrie, il y a de grandes difficultés d’entente. Evidemment, entre Occidentaux et Orientaux, il y a également de grandes difficultés à s’entendre sur des questions de terminologie trinitaire.
C’est Grégoire de Nazianze qui notait: « Il est inconvenant de se quereller comme si notre piété se trouvait dans les mots et non dans les réalités. » Il est extrêmement profond de savoir que, parfois, nous n’utilisons pas les mêmes mots, mais que nous désignons les mêmes réalités; ou que, parfois, nous utilisons certes les mêmes mots, mais pour désigner des réalités différentes. Avec les Pères, nous apprenons à ne pas identifier la foi avec une tradition particulière, marquée par une culture.
On assiste, dès l’époque des Pères, à une certaine séparation entre l’Occident latin et l’Orient grec byzantin. Et l’on voit combien ces questions de culture et d’histoire peuvent conditionner les théologies. L’étude des Pères apprend à percevoir l’unité qui peut exister à l’intérieur de formulations différentes. Ils nous donnent une certaine ouverture d’esprit, un sens de ce qui est essentiel.
E) La pensée des Pères présente un grand intérêt du point de vue de l’œcuménisme
Il est évident que la pensée des Pères présente un grand intérêt dans le dialogue avec l’orthodoxie. Il est important, pour nous, de connaître les Pères grecs.
La connaissance des Pères latins et grecs constitue une bonne base pour le dialogue à l’intérieur de la tradition occidentale. Le catholicisme des Pères est plus acceptable pour le protestant que le catholicisme médiéval ou post-tridentin. Les protestants retrouvent chez les Pères des valeurs catholiques non durcies par la période médiévale (la théologie scolastique) ou par la contre-Réforme.
Les anglicans peuvent trouver chez les Pères une via melia entre les excès du catholicisme romain et du protestantisme continental.
F) Les Pères sont des témoins privilégiés de la tradition de l’Eglise
Le père Congar aime à dire que les Pères sont des organes (ou des témoins) privilégiés de la tradition de l’Eglise5. Pourquoi sont-ils des témoins privilégiés de la tradition de l’Eglise? Parce qu’ils ont vécu à une période capitale, une période unique de la tradition de l’Eglise. Si l’on prend la comparaison avec un bouton de fleur, on peut dire que la période des Pères de l’Eglise représente la période de l’éclosion: tout est déjà donné, instauré par la venue du Christ, par son œuvre salvifique prolongée par la mission des apôtres et par l’édification de l’Eglise.
Tout est déjà donné, mais il y a éclosion
– du point de vue doctrinal: c’est la formulation des dogmes trinitaires et christologiques;
– du point de vue liturgique: c’est à cette époque que se constituent les différentes liturgies, les différentes familles liturgiques;
– du point de vue ecclésiologique, les structures ecclésiales se mettent en place avec les conciles provinciaux, œcuméniques;
– du point de vue de la vie religieuse, on sait comment les moines prennent le relais des ascètes et des martyrs lorsque se termine la période des persécutions;
– du point de vue de la discipline, toutes les collections de canons se constituent et vont réglementer la vie de l’Eglise.
Les Pères qui ont vécu à cette époque ont été les instruments de cette éclosion.
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Les Pères de l’Eglise apparaissent comme un patrimoine de l’Eglise indivise, une base pour un dialogue théologique. Il ne faut pas trop « presser » ce terme de l’Eglise indivise. Dès les IVe et Ve siècles, il y a des divisions. Par exemple, l’Eglise de Perse au IVe siècle, ceux qui, au Ve siècle, refuseront les décisions du concile de Chalcédoine. Mais, malgré tout, les Pères ont vécu à une période où l’Eglise était fondamentalement unifiée. Ainsi, nous avons tous, en commun, les Pères.
Il existe un rôle de paternité spirituelle des Pères de l’Eglise. Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle « Pères de l’Eglise ». Ils sont sources d’une véritable fratrie, fraternité. Le père Congar définissait brièvement la paternité spirituelle comme le fait d’engendrer des frères dans la vie spirituelle, dans la vie de foi. Les Pères jouent ce rôle, aujourd’hui encore, à notre égard. A leur contact, on peut vraiment puiser un sens de l’Eglise, de la foi de l’Eglise, de la tradition de l’Eglise. Ce sont là des choses qui, aujourd’hui, ont énormément de prix. Les Pères nous aident à enraciner notre foi.
Jean-Marc DAUMAS *
Source : La revue reformee
* J.-M. Daumas est professeur d’histoire de l’Eglise à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence. Ce texte est un extrait d’un polycopié du cours « Histoire et théologie de l’Eglise ancienne ».
1 Notre époque est plus accrochée à l’exégèse du type littéral de l’école d’Antioche qu’à celle, allégorique, d’Alexandrie.
2 Environ 346-399.
3 Traité de la prière, pensée 60.
4 Paris: Cerf, 1986, 66 (I, 10, 2).
5 M.-J. Congar, « Les saints Pères, organes privilégiés de la Tradition », Irénikon, n° 4, 1962.
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