Connu pour être le principal dogmaticien et la cheville ouvrière du second souffle revivaliste, Gaussen n’a pas toujours été le partisan inébranlable de l’orthodoxie calviniste. Dans un article paru au crépuscule de sa vie, il évoque en ces termes l’environnement ecclésial et théologique de son enfance : « J’étais alors, avec la plupart de mes concitoyens, dans les erreurs de l’arianisme[22]. » Son attachement aux thèses calvinistes se fera progressivement et ultérieurement, en faculté de théologie, lorsque l’un des pasteurs les plus vénérés de Genève le prend sous son aile : Cellérier père[23].
Pasteur à Satigny, une paroisse importante de la campagne genevoise, Cellérier a maintenu son attachement au catéchisme originel de Calvin malgré l’influence grandissante du supranaturalisme ambiant. Patriote convaincu, il a fait partie d’un petit groupe de pasteurs et théologiens genevois qui a su traverser les chamboulements occasionnés par l’occupation napoléonienne et l’appauvrissement de l’enseignement théologique en s’appuyant sur les écrits de Calvin pour oser les prêcher ex animo. D’arien, Gaussen devient calviniste. A peine sorti des études, il revendique cette filiation et la prêche avec assurance dans les prières publiques du centre-ville, qui lui furent confiées en 1814. Son talent oratoire aidant, une foule nombreuse fréquente ces réunions. Son compagnon d’études Ami Bost, d’éducation et de croyance moraves, y voit un signe avant-coureur du Réveil futur[24]. Mais la Compagnie des pasteurs somme le jeune homme de revenir aux lectures plus classiques d’Ostervald. Gaussen obtempère et se voit octroyer, deux ans plus tard, la charge pastorale de la paroisse de Satigny en remplacement de Cellérier, parti à la retraite. Les années qui suivent marquent l’évolution, toujours plus accentuée, de Gaussen vers des positions tout à la fois revivalistes et orthodoxes. Alors qu’il était rentré dans le rang, en 1814, quand la Vénérable Compagnie lui ordonnait de cesser ses discours, il crée, seize ans plus tard, la Société évangélique de Genève pour offrir une structure et donc une force de frappe plus importante aux idées du Réveil. On parle alors de Second Réveil, dont la création de la Faculté de théologie en 1832 représente un point cardinal. Cette initiative sera perçue par la Compagnie des pasteurs comme une « rébellion à l’ordre », signe d’une inexorable « incompatibilité administrative[25] ». Gaussen est démis de ses fonctions. Il consacrera désormais toutes ses forces à l’enseignement et au développement des activités de la Société évangélique de Genève[26].
Cette évolution vers des positions plus fermes théologiquement et plus audacieuses ecclésiologiquement ne peuvent se comprendre sans évoquer ce que l’on appelle communément le Premier Réveil.
Ce premier souffle revivaliste date des années 1816-1819. Il est marqué par une vague de conversions parmi les étudiants en théologie[27]. Ce mouvement de conversion est inséparable du ministère de l’évangéliste écossais Robert Haldane. Alors que la Faculté de théologie n’a que deux professeurs titulaires, l’un d’hébreu et l’autre d’histoire ecclésiastique, Haldane fait rapidement office de professeur informel de dogmatique. En l’espace de quelques semaines, la quasi-totalité des étudiants assiste à son cours sur l’épître aux Romains et découvre ce qui sera la marque du Réveil genevois : l’appel à la conversion et le retour aux vérités fondamentales de la Réforme calviniste. Dans l’auditoire, on trouve des étudiants proches de la piété morave comme Guers, Pyt et Gonthier, qui avaient créé, quelques années auparavant, avec Bost et Empeytaz, une société dédiée au renouveau spirituel de l’Eglise, sorte d’ecclesiola in ecclesia de style morave[28]. On trouve également des étudiants attachés à l’enseignement libéralisant de l’Académie, qui sont aussitôt gagnés aux idées de Haldane. Frédéric Monod et Jean-Henri Merle d’Aubigné sont du nombre. Trois jeunes pasteurs, déjà orthodoxes, trouveront, là encore, auprès de M. Haldane un renouveau spirituel qui les ancrera plus fermement dans le mouvement revivaliste : Galland, Malan et Gaussen.
Ce premier Réveil débouche sur la création des premières Eglises indépendantes francophones : l’Eglise du Bourg-de-Four en 1817, déplacée neuf ans plus tard rue de la Pélisserie, et la chapelle du Témoignage au Pré-l’Evêque en 1824, dans la propriété de César Malan[29]. Certains s’engagent dans des missions d’évangélisation, tels Empeytaz avec Mme de Krüdener ou Henry Pyt avec la Société continentale ; d’autres exercent un ministère dans plusieurs Eglises réformées d’Europe : en France pour Frédéric Monod, aux Pays-Bas pour Jean-Henri Merle d’Aubigné, à Genève pour Louis Gaussen.
Cette dissémination contribuera au rayonnement du Réveil genevois, qui se répandra bien au-delà des limites de la petite République de Genève.
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