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La démarche de Gaussen s’apparente plus clairement à celle de Haldane qu’à celle de Chalmers ou Alexander. Pour le pasteur et professeur genevois, il est impensable de ne pas établir une différence entre le croyant et l’incroyant. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il adresse sa Théopneustie non pas aux incroyants, mais aux croyants pour les affermir dans leur foi et les convaincre de ne pas succomber aux sirènes de l’historico-critique. Son sens de la dépravation totale tient tout son discours à distance de l’épistémologie optimiste des Lumières. Il ne peut pas reconnaître qu’il existerait une méthode scientifiquement neutre qui mène l’incroyant à la foi. Science et foi sont clairement situées sur des plans différents : « Il faut le dire cependant ; malgré les éminents services que ce premier moyen de conviction [i.e., la « science »] peut rendre à notre foi, on ne doit pas tant l’employer pour la fonder que pour la préparer, pour l’accompagner ou pour la défendre[56]. »

Ces observations clarifient la question du positionnement gaussennien :

  • L’attachement de Gaussen à l’épistémologie orthodoxe l’empêche d’embrasser pleinement les principes de la Common Sense Philosophy. S’il s’inscrit résolument dans l’approche empirique baconienne, il n’en demeure pas moins que son utilisation cohérente du principium cognoscendi de l’ancienne orthodoxie ne lui permet pas d’adhérer à cette confiance absolue de l’universalité et de la validité du sens commun telle qu’on la trouve dans l’objectivisme écossais.
  • En suivant la méthode expérimentale de cet empirisme baconien tant répandu au début du XIXe siècle, Gaussen s’inscrit résolument dans la modernité[57]. S’il reprend à son compte les principiae theologiae du calvinisme orthodoxe, son activisme revivaliste, avec ses appels à la conscience et au cœur, n’est pas sans rappeler la psychologie de l’individualisme, trait marquant s’il en est de la modernité. Mais l’influence de la modernité ne se limite pas à la notion d’individualisme. La méthode apologétique employée par Gaussen n’est pas sans lien avec le principe scientifique de la méthode expérimentale : lorsqu’il avance des preuves pour défendre la théopneustie, quand bien même celles-ci s’adressent d’abord aux croyants, elles reposent sur le progrès continuel des sciences et des techniques. En cherchant à démontrer la vérité d’un récit, d’un miracle ou plus généralement d’un phénomène relaté dans la Bible, Gaussen se fonde sur la notion de causalité des faits en recourant à toutes les nouvelles sciences qui prennent pour objet le réel, celui de la nature ou de la société.

Le recours tant à une épistémologie calviniste orthodoxe qu’à une apologétique imprégnée de caractéristiques modernes peut surprendre. Avant de conclure trop rapidement à une possible incohérence, je propose de garder à l’esprit cette dualité complexe pour tenter de discerner les équilibres, et peut-être les tensions, des vues de Gaussen sur sa lecture évangélique de la Bible.

Conclusion

Au terme de ce parcours, j’aimerais résumer les résultats de notre recherche et tenter de comprendre ce qui fait la force et la faiblesse de Gaussen face aux idéologies de son temps. En tant que revivaliste calviniste, la lecture évangélique de la Bible qu’emploie Gaussen peut se résumer ainsi :

  • Le fondement théologique sur lequel Gaussen fonde sa théopneustie, tout comme ses prédications revivalistes, est identique au principe épistémologie orthodoxe : la Bible est le fondement de la connaissance de Dieu. C’est le principium cognoscendi externum que l’on ne peut détacher du principium cognoscendi internum. Il n’y a point d’autre point de départ pour établir la véracité de la foi chrétienne que la Bible elle-même illuminée par le Saint-Esprit.
  • Le corollaire de cette thèse est que l’incroyant n’a pas la capacité naturelle ou commune d’accéder à la vérité chrétienne. Il n’y a pas de terrain neutre qui unisse croyants et incroyants dans la recherche de la vérité.
  • Parallèlement à cela, Gaussen affirme que cette foi chrétienne n’est pas déconnectée de la réalité et de l’histoire du monde. En assistant au progrès continuel des sciences et des techniques, rendu possible par l’unité préconisée entre la pensée mathématique et l’expérimentation réalisée par la manipulation des données, Gaussen est ouvert à l’utilisation des outils de la méthode expérimentale pour défendre sa lecture évangélique de la Bible. Il y a des raisons pour croire en la théopneustie et « ces raisons sont claires et victorieuses[58] ».
  • Le corollaire de cette thèse est la légitimité de la méthode scientifique expérimentale. Par-delà la nécessité du principium cognoscendi internum, Gaussen accepte la méthode scientifique en tant qu’outil adéquat dans la recherche de la vérité biblique. Son ancrage épistémologique orthodoxe l’empêche d’embrasser les principes de l’objectivisme écossais, mais il met, néanmoins, à profit les techniques scientifiques de recherche historique et expérimentale que développe la modernité naissante. Conscient que cette tension peut conduire à des contradictions, Gaussen limite la portée de la science lorsqu’elle met en péril les dogmes de la foi chrétienne. Cette dernière, préparée, accompagnée et défendue par la science, trouve son fondement dans les déclarations de Dieu et dans ses œuvres, rapportées dans les Écritures. Et cet appui n’est pas vain, puisque les livres saints ont été providentiellement transmis et préservés de toute erreur. Aussi, quand la science prétend ébranler la foi, celle-ci doit-elle « en appeler de la demi-science à la science mieux informée[59] ». Foi et science ne s’opposent donc pas. La science est même souhaitable. Mais elle n’a de validité que dans la mesure où elle parvient aux mêmes conclusions que la foi. La norme restera toujours le canon des Ecritures.

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